Dans les classes françaises, l’idéal d’une école inclusive se heurte de plus en plus à la réalité du terrain, marquée par la fatigue, l’improvisation et la solitude des enseignants. Ce quotidien difficile est dénoncé par un nombre croissant de professeurs.
Depuis la rentrée, un malaise persistant s’installe dans les établissements scolaires. Sans crise ouverte, mais avec des signaux inquiétants : manque d’accompagnants, classes surchargées, formation insuffisante… L’école pour tous, pourtant portée par une forte dynamique politique, semble atteindre ses limites.
Une inclusion ambitieuse, mais en équilibre instable
La loi du 11 février 2005 avait marqué un tournant majeur : tout enfant en situation de handicap devait pouvoir être scolarisé dans l’école de son quartier. Depuis, le nombre d’élèves inclus a explosé : de 100 000 en 2005, ils seront 500 000 à la rentrée 2025. Un bond spectaculaire, sans augmentation équivalente des moyens humains et matériels.
Dans une école primaire de l’Yonne, Marie Hervier, enseignante depuis quinze ans, accueille cette année trois élèves avec notification de handicap, dont deux enfants autistes. Seule l’un d’eux bénéficie d’un accompagnement AESH à mi-temps.
« On touche les limites de l’école inclusive, vraiment. Il ne s’agit pas de remettre en cause son principe, mais le manque criant de moyens nous pousse parfois à l’impossible. On gère en urgence, sans filet. J’ai peur de ne pas faire du bien à ces enfants, ni aux autres. »
Des accompagnants introuvables
Le manque d’accompagnants d’élèves en situation de handicap (AESH) reste l’un des principaux freins à l’école inclusive. Sur le terrain, la tension monte. À Brétigny-sur-Orge, les écoles primaires souffraient à la rentrée d’un déficit de 294 heures d’accompagnement, soit l’équivalent d’environ 13 AESH absents.
La situation est similaire dans les collèges, où les besoins non couverts dépassent la centaine d’heures hebdomadaires, laissant enseignants et élèves dans une grande difficulté.
| Année | Élèves handicapés scolarisés | Déficit d’accompagnement signalé |
|---|---|---|
| 2005 | 100 000 | Non documenté |
| 2020 | 385 000 | Non quantifié |
| 2023 | 436 000 | 14% d’élèves sans AESH |
| 2025 | 500 000 | 12% d’élèves toujours sans AESH |
Le gouvernement a annoncé la création de 2 000 postes d’AESH supplémentaires pour 2025. Mais sur le terrain, les départs non remplacés et la précarité des contrats neutralisent souvent ces mesures.
Un AESH, payé autour du SMIC, en contrat à temps partiel et annualisé, touche rarement plus de 850 euros net par mois. Un salaire qui dissuade de nombreux candidats pour un métier pourtant crucial à l’inclusion scolaire.
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Des enseignants en détresse croissante
Parmi les personnels éducatifs, le malaise est profond. Selon une enquête professionnelle 2024, près de trois enseignants sur quatre déclarent faire face régulièrement à des situations très difficiles, en particulier avec des élèves présentant des troubles du comportement sévères ou des troubles neurodéveloppementaux.
« Je me retrouve seul face à un enfant qui hurle, qui tape ou qui s’enfuit. Je n’ai ni les outils, ni la formation. Et je dois gérer 24 autres élèves en même temps. Que suis-je censé faire ? »
Ces mots sont ceux d’Éric Bouzon, enseignant dans un collège ZEP à Toulouse. Il fait partie des 67 011 professionnels ayant signé une alerte collective auprès du ministère, restée selon lui sans effet tangible sur sa réalité quotidienne.
Une formation initiale jugée très insuffisante
Sur le papier, les nouvelles générations d’enseignants bénéficient de modules de formation à l’inclusion scolaire. En pratique, ce ne sont souvent que quelques heures théoriques dans un programme déjà chargé. Aucun stage pratique, peu ou pas de suivi, et encore moins de coordination pluridisciplinaire.
Une école à deux vitesses ?
Le tableau se complique lorsqu’on se penche sur les enfants exclus du système. Environ 200 000 enfants en situation de handicap n’auraient aucune solution scolaire en France. D’autres sont inclus sur le papier, mais ne fréquentent leur établissement que quelques heures par semaine, faute d’accompagnement adapté ou de structures spécialisées.
Dans certaines académies, des parents renoncent à une inclusion jugée dégradante pour leur enfant, préférant des structures privées ou le maintien à domicile. Cette situation alimente un sentiment d’échec et renforce l’idée d’une école inclusive à deux vitesses.
Des expérimentations amorcées, mais limitées
Les Pôles d’appui à la scolarité (PAS), expérimentés dans quatre départements, visent à mieux coordonner l’intervention des professionnels médico-sociaux autour des enfants scolarisés. Si les retours initiaux sont encourageants, leur généralisation reste incertaine et dépend de financements encore largement insuffisants.
Le contraste italien
Alors que la France peine à avancer, l’Italie a adopté un modèle inclusif dès les années 1970. Chaque élève en situation de handicap y est intégré dans une classe ordinaire, avec des enseignants de soutien formés et une présence renforcée d’accompagnants. Ce modèle repose sur des choix politiques clairs, notamment concernant les effectifs par classe et la formation initiale des enseignants.
Une équation sociale et humaine à résoudre
L’école inclusive n’est pas un échec, mais elle est en péril si elle continue d’être traitée à coût constant. Son avenir dépend moins des déclarations de principe que d’un investissement massif et cohérent. Sur le terrain, les enseignants ne demandent pas de remettre en cause cette ambition, mais simplement les moyens de la rendre viable, pour tous les élèves, sans exception.
FAQ’s
Qu’est-ce que l’école inclusive ?
L’école inclusive vise à intégrer tous les élèves, y compris ceux en situation de handicap, dans les classes ordinaires avec un accompagnement adapté.
Pourquoi les enseignants dénoncent-ils le manque de moyens ?
Les enseignants pointent le manque d’AESH, les classes surchargées, et la formation insuffisante, qui compliquent la prise en charge des élèves en situation de handicap.
Qu’est-ce qu’un AESH et quel est son rôle ?
Un AESH (Accompagnant des Élèves en Situation de Handicap) aide les élèves dans leur scolarité quotidienne, en classe ou lors des activités éducatives.
Combien d’élèves sont inclus en France aujourd’hui ?
Depuis 2005, le nombre d’élèves inclus a fortement augmenté : de 100 000 en 2005, ils seront 500 000 à la rentrée 2025.
Pourquoi les AESH sont-ils souvent insuffisants ?
Les contrats précaires, le temps partiel et le manque de recrutement empêchent de couvrir tous les besoins des élèves en situation de handicap.
Quelles difficultés rencontrent les enseignants en classe ?
Les enseignants doivent gérer seuls des élèves avec troubles du comportement sévères ou troubles neurodéveloppementaux, souvent sans formation spécifique ni accompagnement.
Quelles mesures le gouvernement a-t-il annoncées ?
Le gouvernement prévoit la création de 2 000 postes d’AESH supplémentaires pour 2025, mais cela reste insuffisant face aux besoins réels.
Conclusion
L’école inclusive reste un idéal précieux, mais elle est aujourd’hui confrontée à des limites structurelles et à un manque de moyens criant. Les enseignants, sur le terrain, témoignent d’une réalité complexe : classes surchargées, accompagnement insuffisant, formation incomplète. Pour que cette ambition ne reste pas qu’un principe, il est essentiel de mettre en place des investissements massifs et cohérents, d’augmenter le nombre d’AESH, et de renforcer la formation des enseignants.
