Pascal Rouillon, technicien de maintenance dans les Hauts-de-France, décrit ce changement comme « la fin du bénévolat pour aller bosser », mêlant lassitude et espoir. Un arrêt récent de la Cour de Cassation marque une étape majeure, avec des conséquences importantes pour les travailleurs mobiles longtemps ignorés dans les discussions sur le temps de travail et la rémunération des déplacements professionnels.
Une décision attendue par les salariés itinérants
Le 1er octobre 2025, la Cour de Cassation a rendu un arrêt discret mais significatif, confirmant un principe posé en 2022 et renforcé en janvier 2025 : certains trajets domicile-clients peuvent, sous conditions strictes, être considérés comme du temps de travail effectif. Ce changement de jurisprudence ne garantit pas une rémunération automatique pour tous, mais concerne principalement les salariés itinérants, pour qui le véhicule devient parfois une véritable salle de réunion mobile.
Des critères stricts pour un changement limité
En droit français, l’article L. 3121-4 du Code du travail stipule que le temps de trajet domicile-lieu de travail n’est généralement pas considéré comme du temps de travail effectif. Cependant, une exception, alignée avec une directive européenne et un arrêt de la CJUE de 2015, change la donne pour certains profils comme techniciens, commerciaux ou livreurs.
Pour que le temps de trajet soit reconnu comme travail, trois conditions cumulatives doivent être remplies:
- Le salarié doit être à la disposition de l’employeur.
- Il doit suivre les directives de l’employeur.
- Il ne doit pas pouvoir vaquer à des occupations personnelles.
Cette lecture montre pourquoi l’exception reste limitée, mais significative pour les salariés concernés.
Un cas emblématique : téléphone en main, volant comme bureau
Pascal Rouillon, technicien itinérant dans une entreprise de maintenance industrielle, commence ses journées à 6h45, prenant sa voiture de service pour rejoindre son premier client. En route, il appelle l’assistant logistique, reçoit des directives du planning, échange avec le chef d’équipe, et ajuste parfois sa destination à la dernière minute.
« Je n’ai pas un quart d’heure tranquille dans la voiture. Je suis en contrôle permanent, obligé de suivre toutes les consignes. Et à la fin du mois, aucune heure comptée. C’est insupportable », explique Pascal. « Après 14 ans, j’ai calculé : plus de 1 000 heures gratuites de trajet. Sans ça, mon travail ne tiendrait pas. »
Dans son cas, les trois critères légaux pour reconnaître le temps de trajet comme temps de travail sont remplis. Un jugement de novembre 2022 avait déjà statué sur une situation similaire, où le salarié utilisait son téléphone en conduisant selon des directives reçues en temps réel. La Cour de Cassation a confirmé ce principe en début 2025, puis à nouveau le 1er octobre 2025, renforçant la reconnaissance des trajets domicile-client comme temps de travail effectif.
Les obligations des employeurs évoluent
Ce changement juridique oblige les entreprises à une vigilance accrue. La charge de la preuve sur le respect des conditions incombe désormais aux juridictions prud’homales. Plusieurs affaires en cours concernent des rappels de salaires sur cinq ans, le paiement d’heures supplémentaires majorées, voire la requalification de contrats.
Lorsque les trajets dépassent le temps standard domicile-travail sans être reconnus comme temps de travail effectif, une compensation devient obligatoire, soit financière, soit sous forme de repos. Une subtilité que de nombreux employeurs ignorent encore, mais qui peut avoir des conséquences importantes sur la gestion des salariés itinérants.
Situation | Classification juridique | Conséquence |
---|---|---|
Trajet domicile-lieu de travail habituel | Pas du travail effectif | Pas de rémunération obligatoire |
Trajet domicile-client (avec directives et contraintes) | Travail effectif (si critères remplis) | Rémunération obligatoire |
Trajet long dépassant le temps normal sans directives | Pas du travail effectif | Compensation obligatoire |
Une portée réelle mais ciblée
Contrairement aux rumeurs circulant sur les réseaux sociaux, cette décision ne concerne pas les millions de salariés effectuant leurs trajets quotidiens vers bureaux ou commerces. Les allers-retours classiques ne seront pas systématiquement intégrés au temps de travail.
En revanche, pour une fraction estimée à 1,1 million de salariés itinérants selon l’INSEE, cette jurisprudence ouvre de nouvelles perspectives. Les prud’hommes seront bientôt sollicités pour arbitrer les premières affaires, tandis que plusieurs syndicats appellent déjà à la renégociation d’accords collectifs.
Un impact structurel sur les ressources humaines ?
Face à cette évolution juridique, les DRH adaptent progressivement les grilles de compensation. Certaines grandes entreprises du BTP et des services techniques ont déjà ajouté des clauses de majoration pour les temps de trajet utilisés à des fins professionnelles, tandis que d’autres hésitent encore, craignant des précédents coûteux.
« Ce qui nous inquiète, ce ne sont pas les quelques trajets isolés, mais l’effet domino. Si un salarié prouve que ses années de déplacements constituent du travail effectif, le passif financier pourrait exploser. La direction n’avait pas réalisé l’ampleur », confie un cadre RH sous anonymat.
Pour l’instant, les décisions restent au cas par cas, mais la ligne de jurisprudence bouge, remettant en question l’équilibre silencieux sur lequel reposait le travail mobile en France.
FAQ
Qu’est-ce que la Cour de Cassation a décidé concernant les trajets domicile-travail ?
La Cour de Cassation a confirmé que certains trajets domicile-client peuvent être requalifiés en temps de travail effectif, sous conditions strictes, impactant la rémunération des salariés itinérants.
Tous les trajets domicile-travail sont-ils concernés ?
Non. La décision ne concerne pas les trajets quotidiens classiques vers bureaux ou commerces. Elle s’applique principalement aux salariés itinérants dont le temps de déplacement est professionnellement encadré.
Quels salariés peuvent bénéficier de cette requalification ?
Les principaux concernés sont les techniciens, commerciaux, livreurs et autres salariés itinérants, pour qui le véhicule devient une salle de réunion mobile.
Comment se traduit la rémunération de ces trajets ?
La compensation peut être financière ou sous forme de repos, selon les accords et la situation du salarié.
Les entreprises sont-elles obligées de payer ces trajets immédiatement ?
La charge de la preuve incombe aux juridictions prud’homales, et chaque cas est examiné individuellement. Cependant, une compensation devient obligatoire dès que les conditions légales sont remplies.
Cette décision peut-elle générer des rappels de salaire ?
Oui. Des revendications pour rappel de salaire sur plusieurs années, majoration d’heures supplémentaires ou requalification de contrats sont déjà signalées dans plusieurs affaires prud’homales.
Quel est l’impact sur les accords collectifs et conventions d’entreprise ?
Plusieurs syndicats appellent à la renégociation d’accords collectifs pour inclure ou clarifier la rémunération des déplacements professionnels.
Conclusion
La décision récente de la Cour de Cassation marque un tournant majeur pour les salariés itinérants en France. Elle confirme que certains trajets domicile-client, lorsqu’ils remplissent des conditions précises, peuvent être reconnus comme temps de travail effectif, avec des conséquences financières importantes pour les entreprises.